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vendredi 3 février 2012

Le toucher d'or




II était une fois un homme très riche qu'on appelait Midas, et cet homme était roi, il avait une petite fille dont je ne peux pas arriver à me rappeler le nom. Si vous le voulez bien, nous l'appellerons Marie d'Or. Il faut dire que le roi Midas aimait l'or par-dessus tout. S'il tenait tant à sa couronne, c'est qu'elle était faite de ce précieux métal. Il est vrai qu'il aimait presque autant la petite fille qui jouait si gentiment sur les marches de son trône ; mais il croyait, l'insensé ! qu'il ne pouvait rien faire de mieux pour elle que de lui laisser à sa mort quantité de pièces jaunes et brillantes.

Voyait-il un beau coucher de soleil ? Il aurait voulu saisir les nuages dorés pour les enfermer dans ses coffres. Et si la petite Marie courait à sa rencontre avec une touffe de boutons d'or, il lui disait : - « Bah ! Bah ! Mon enfant, cela vaut-il la peine de cueillir des fleurs qui n'ont de l'or que la couleur ? »

Jadis, cependant, dans sa jeunesse, le roi Midas avait aimé les fleurs et fait planter les plus beaux jardins qu'on pût voir. Mais, à présent, ii ne se promenait plus guère parmi ses roses et laissait leur parfum se perdre dans l'air. Si pourtant il venait à passer près d'elles, il calculait quelle serait leur valeur au cas où ces milliers de pétales seraient changés en petites plaques d'or.

De même, lui qui avait tant aimé la musique, il n'aimait plus désormais que le son des piles d'écus. C'est pourquoi il passait le plus clair de ses journées dans un lugubre caveau de son palais, où il gardait son trésor. Après avoir fermé la porte à double tour, il prenait un sac plein de pièces d'or, une coupe d'or, un lingot d'or, un boisseau de poudre d'or, et il apportait tout cela dans le rayon de soleil qui tombait d'une étroite meurtrière. Alors il comptait ses écus, jouait à lancer et à rattraper son lingot, faisait ruisseler entre ses doigts la poussière étincelante et se mirait dans la coupe polie en se réjouissant de sa richesse. Il ne prenait pas garde que la coupe arrondie lui présentait une image déformée, ridicule, qui semblait lui rire au nez.

Midas, avec tout son or, n'était pas tout à fait heureux. Car plus il était riche, plus il souhaitait de l'être davantage encore. Rien n'aurait pu le satisfaire que de posséder tous les trésors du monde. Un jour qu'il était dans son caveau, occupé comme d'habitude, il vit une ombre sur ses monceaux d'or. Il se retourna vivement et se trouva en présence d'un étranger ! Jugez de sa surprise, car il était bien sûr d'avoir fermé la porte. L’inconnu était un jeune homme de superbe prestance, au visage rayonnant, comme métallique, qui répandait un tel éclat que tous les recoins de la pièce, d'ordinaire si noirs, s'en trouvaient illuminés. Midas devina que son visiteur était plus qu'un mortel. Il n'en fut pas autrement effrayé, car l'étranger avait un sourire plein de bienveillance. Il fut même soulagé de voir qu'il n'avait pas affaire à un vulgaire voleur.

L’inconnu promena son lumineux sourire sur tous les objets du caveau et, par là même, les éclaira brillamment. Puis, se tournant vers Midas :

- «Tu es bien riche, lui dit-il. Il n'y a nulle part sur la terre autant d'or amoncelé entre quatre murs.

- Oui, répondit le roi avec une petite moue j'ai assez bien réussi. Mais il m'a fallu devenir vraiment riche. - Comment ! s'écria l'étranger. Tu n’es pas ... ? » Midas secoua la tête.

- «Qu'est-ce donc qui pourrait te satisfaire ? demanda le radieux visiteur. Je serais bien aise de le savoir. »

Midas devint rêveur. Il contempla ses monceaux d'or, sa vaisselle d'or, ses sacs de poudre d'or comme pour leur demander conseil. Il ne disait rien. L'étranger attendait patiemment. Tout à coup le roi redressa vivement la tête : il venait d'avoir une idée lumineuse.

- «Ah ! Ah ! dit l'étranger. Je vois que tu as trouvé. Dis-moi donc ce que tu désires.

- C'est un souhait très simple, répondit l'avare. Je suis fatigué d'avoir tant de peine à recueillir des richesses et je voudrais avoir le pouvoir de changer en or tout ce que je toucherais. »

L'inconnu, qui n'avait pas cessé de sourire, se mit cette fois à rire franchement :

- « Le toucher d’or ? S’écria-t-il, le toucher d'or ! Bravo roi Midas, c'est vraiment une idée admirable. Naturellement, tu es bien sûr que l'accomplissement de ce souhait fera ton bonheur ?

- Comment pourrait-il en être autrement ?
- Tu ne le regretteras jamais ? - Je ne vois aucune raison de le regretter, mais toutes les raisons d'en être comblé de joie. - Eh bien, que ton vœu soit exaucé ! Demain, au lever du soleil, tu auras le toucher d'or. »

Là-dessus, l'étranger devint si resplendissant que le roi Midas n'en put supporter l'éclat. Il ferma involontairement les yeux. Quand il les rouvrit, son mystérieux visiteur avait disparu.

La nuit suivante, le roi Midas eut bien du mal à s'endormir. Il se retournait dans son lit en se demandant si l'extraordinaire inconnu qui avait le don de passer à travers les portes fermées et de répandre tant de lumière allait tenir sa promesse ou s'il s'était seulement moqué de lui. Il s'endormit enfin, rêvant de trésors, mais d'un sommeil agité, et se réveilla à la petite pointe de l'aube.

Aussitôt il étendit les bras hors du lit pour vérifier s'il avait bien le toucher d'or. Il palpa avidement une chaise, un rideau…Hélas ! La chaise restait de bois, le rideau d'étoffe. L'inconnu s'était joué de lui et ne lui avait procuré qu'une nuit de fièvre.

Comme le roi retombait sur son lit, furieux et désespéré, un rayon de soleil entra par la croisée et dora le plafond au-dessus de sa tête. Il lui sembla alors que les draps de son lit brillaient d'un éclat singulier. En les regardant de plus près, quel fut son bonheur de voir que la toile fine s'était transformée en or pur ! L'étranger avait dit vrai, mais, dans son impatience, Midas n'avait pas attendu que le soleil fût tout à fait levé.

Transporté de joie, il sauta à terre et se mit à toucher tout ce qui lui tombait sous la main. D'abord la colonne du lit, qui devint une magnifique colonne d'or cannelée ; puis le rideau de la fenêtre, qu'il écartait pour mieux y voir, et dont le gland devint un gros poids d'or massif. Il saisit un livre posé sur une table et, sur-le-champ, le livre parut superbement relié et doré sur tranches ; mais, lorsque le roi en tourna les pages du doigt, elles se transformèrent en minces feuilles d'or sur lesquelles on ne pouvait plus rien lire. Midas ne s'en soucia guère, car il ne songeait pas du tout à lire, et il se dépêcha de s'habiller, ravi de se voir dans la glace tout revêtu de drap d'or. Cela lui faisait bien des habits un peu lourds, mais ils restaient souples, et comme ils brillaient !

Le roi tira son mouchoir que la petite Marie d'Or avait ourlé pour lui, et il eut pour la première fois un geste de mécontntement à voir que le mouchoir, lui aussi, était d'or : Il aurait préféré garder intact ce cadeau de sa petite fille.

Mais, après tout, il n'y avait pas là de quoi fouetter un chat ! Midas prit ses lunettes et les mit sur son nez pour admirer ses habits de plus près. Malheureusement elles étaient en or elles aussi, et il n'y avait plus moyen de rien voir au travers.

Le roi fut décontenancé, mais après un instant de réflexion il se dit tout en jetant ses lunettes : « Bah ! En somme, ce n'est pas une affaire. Le toucher d'or vaut bien quelques menus sacrifices. J'y vois encore assez clair comme cela pour les besoins courants de la vie, et je demanderai à Marie d'Or de me faire la lecture. » Il sortit de sa chambre, descendit l'escalier du palais et sourit de plaisir à remarquer que la rampe de marbre devenait d'or à mesure que sa main glissait sur elle. Il ouvrit la porte du jardin (dont le loquet, aussitôt, fut changé en or) et s'élança parmi les roses qui embaumaient la brise matinale. Courant de rosier en rosier, il se mit à toucher chaque fleur, chaque bouton, n'ayant de cesse que tous les arbustes fussent d'or. Puis, cet exercice violent et l'air vif du matin lui ayant ouvert l'appétit, il retourna au palais pour prendre son petit déjeuner.

Comme il entrait dans la salle à manger, il vit venir à lui Marie d'Or tout en pleurs. Il en fut fort étonné, car c'était la petite fille la plus joyeuse qu'on pût voir et, dans toute une année, elle ne versait pas assez de larmes pour remplir un dé à coudre.

- « Qu'as-tu donc, ma petite Marie d'Or, demanda-t-il en lui caressant doucement la tête ? Comment peux-tu pleurer par une si belle matinée?»

Sans mot dire ni rabattre le tablier dont elle se cachait les yeux, Marie d'Or tendit à son père une des roses qu'il avait transformées.

-« Est-ce donc cette belle rose qui te cause tant de peine ? dit-il avec surprise. T'aurait-elle piquée ? -Ah ! Mon cher père, répondit l'enfant, elle n'est plus belle du tout, cette rose ; voyez, elle est devenue toute jaune, toute gâtée. Ce matin je suis descendue au jardin pour vous faire un bouquet et…et, savez-vous ce qui est arrivé ? Un grand malheur ! En une nuit toutes les fleurs ont perdu leur couleur et leur parfum. Je ne sais où elles ont pris cette vilaine teinte jaune. Et sentez : elles n'ont plus la moindre odeur !

-Va, dit Midas, console-toi, ma chère petite. Il sera bien facile, si tu le veux, d'échanger une belle rose comme celle-ci, prête à durer cent ans, contre une fleur ordinaire qui ne dure guère plus d'un jour. Sèche tes larmes et assieds-toi. Tu vas laisser refroidir ton lait.»

Il s'assit lui-même en face de sa fille, non sans s'émerveiller de voir que la cafetière et la tasse qu'il touchait prenaient aussitôt l'aspect de l'or. « Il va falloir, pensa-t-il, que je fasse faire des armoires spéciales, dont je garderai la clef, pour y enfermer une vaisselle aussi précieuse. Je ne pourrai plus la laisser traîner à la cuisine. » Tout en réfléchissant, il porta une cuillerée de café à ses lèvres et poussa un cri d'effroi : le liquide s'était figé et transformé en un petit lingot qui fit un cliquetis métallique quand le roi le remit dans sa tasse.

- «Qu'avez-vous, mon père ? demanda Marie d'Or, dont les yeux étaient encore humides de larmes.

- Rien, rien, mon enfant, dit Midas. Ne prends pas garde à moi et croque tes rôties.».

Il avisa une jolie truite dans un plat (le maître cuisinier savait que le roi n'aimait rien tant que les truites d'eau vive pour son petit déjeuner) et la mit sur son assiette. Mais, ce faisant, il en effleura la queue du bout du doigt…et ne vit plus devant lui qu'un poisson d'or. Oh ! C'était une admirable œuvre d'art, qu'on aurait dite ciselée par le plus habile orfèvre du monde. Rien n'y manquait, ni les fines nageoires, ni les écailles délicates ouvragées à merveille. Un chef-d'œuvre, vraiment. Seulement on ne déjeune pas de chefs- d'œuvre et Midas, qui avait grand-faim, commença à être irrité et inquiet.

« Je me demande comment je vais faire, se dit-il, pour calmer mon appétit. » Un petit gâteau, puis un œuf qu'il saisit nerveusement se transformèrent comme le poisson. Alors, piquant de sa fourchette une pomme de terre toute chaude, il essaya de l'introduire rapidement dans sa bouche et de l'avaler d'un trait avant qu'elle eût le temps de se changer en or. Mais ce n'était déjà plus une pomme de terre qu'il avait dans la bouche, c'était un lingot d'or qui lui brûlait la langue ! Midas bondit de sa chaise avec un cri de douleur et se mit à sauter dans la chambre.

Marie d'Or, effrayée, sauta elle aussi de sa chaise et se précipita vers lui :

- « Mon père, mon cher père, qu'avez-vous ? lui demanda-t-elle d'une voix anxieuse. Vous êtes-vous brûlé ?

- Ah ! Ma chère petite, répondit Midas en secouant tristement la tête, je ne sais vraiment les ce que ton malheureux père va devenir, Avec tout cet or devant moi, je suis plus infortuné que le dernier des miséreux ! »

Marie d'Or entoura tendrement de ses bras les genoux de son père et lui, tout ému de son affection, se pencha vers elle et la baisa au front.

Hélas ! Qu'avait-il fait ? Dès l'instant que ses lèvres avaient effleuré le visage de Marie, celui-ci était devenu jaune et brillant ; jaunes aussi les larmes, maintenant congelées, qui l'instant d'avant, roulaient sur ses joues ; jaunes et raides les beaux cheveux, naguère châtains, qui retombaient sur ses épaules. Et tout son corps s'était durci sous les lèvres du roi. Malheur, malheur ! Marie n'était plus qu'une statue d'or ! Une statue bien touchante. Son visage, qui était resté le même dans les moindres détails (jusqu'à la charmante fossette du menton), avait gardé son expression d'amour, de douleur et de pitié. Il y avait dans cette vue de quoi déchirer le cœur du roi qui se tordait les mains de désespoir et gémissait à fendre l'âme en pensant qu'il avait malgré lui tué sa fille.

« Ah ! s'écria-t-il ? Avec quelle joie je donnerais toutes mes richesses pour ramener le rosé de la vie sur les joues de mon enfant !»

Comme il achevait cette phrase, il vit surgir devant lui le mystérieux étranger dont il avait, la veille, reçu le don fatal.

- «Eh bien ? Mon ami, dit l'inconnu, comment te trouves-tu avec le toucher d'or ?» Et il accompagna ces paroles d'un large sourire qui répandit une lueur jaunâtre sur la statue de la petite Marie. - « Je suis le plus malheureux des hommes, répondit le pauvre roi entre deux sanglots.

- Comment cela ? N'ai-je pas tenu ma promesse ? Ton souhait ne s'est-il pas accompli ?

- Que m'est tout l'or du monde si j'ai perdu mon enfant ? dit Midas en jetant des regards désespérés sur l'image inanimée de sa fille.

- Tiens, tiens ! On dirait que tu as fait une découverte depuis hier. Dis-moi, que préfères-tu ? Le toucher d'or ou une tasse d'eau fraîche ? - Oh ! De l'eau, de l’eau ! s'écria Midas.
- Le toucher d'or, reprit l'étranger, ou un morceau de pain sec ?

- Oh ! Le pain, le pain ! Une miette de pain vaut tout l'or de la terre.

- Le toucher d'or, ou la petite Marie pleine de chaleur et de vie, comme elle l'était tout à l'heure ?

- Oh ! Ma fille, ma chère petite fille bien vivante, cria le malheureux roi en se tordant à nouveau les mains. - Tu es décidément beaucoup plus sage que tu ne l'étais hier, dit l'étranger en regardant Midas avec gravité. Et je vois que ton cœur ne s'est pas entièrement changé en dur métal, comme on aurait pu le craindre. Voyons, renoncerais-tu sans regret au toucher d'or ?

- Il m'est odieux, odieux ! » Répondit Midas.

A cet instant, une mouche se posa sur son visage et tomba à terre, transformée elle aussi en un insecte d'or. Midas frissonna d'horreur. « Eh bien ! dit le puissant inconnu, va te plonger dans la rivière qui coule au fond de ta roseraie. Mais n'oublie pas d'emporter un pot de terre : tu y puiseras de l'eau vive et tu en aspergeras tous les objets auxquels tu veux rendre leur premier aspect. Si tu le fais avec confiance, ils reviendront ce qu'ils étaient avant d'avoir été transformés par ta cupidité. »

Le roi se jeta à genoux. Quand il se releva, le radieux étranger s'était évanoui. Sans tarder une minute, Midas prit un grand pot de terre (qui, naturellement, se changea aussitôt en or) et courut à la rivière. Sous ses pas, l'herbe, les buissons se mettaient aussitôt à jaunir comme si l'automne les eût touchés. A peine arrivé sur la berge, il piqua une tête dans l'eau sans même prendre la précaution d'enlever ses vêtements ni ses chaussures. « Quel délicieux bain ! s'écria-t-il entre deux plongées. Jamais eau ne m'a paru plus fraîche. Je me sens tout rajeuni. »

Il grimpa sur la rive, trempa le pot d'or dans la rivière et, pour sa plus grande joie, le vit se changer de nouveau en bonne et brave argile. Alors il toucha une violette, tremblant encore de la voir devenir jaune et inodore ; mais non, la petite fleur garda sa nuance délicate et son parfum. Quel bonheur ! Il semblait même à Midas que son cœur devenait plus léger dans sa poitrine, oui vraiment, plus léger qu'il n'avait été depuis de longues années.

Il courut au palais, au grand étonnement de ses domestiques, éberlués de voir leur maître monter ainsi l'escalier quatre à quatre et tout ruisselant, une cruche de terre à la main ! Mais il se souciait bien de sa dignité ! Il ne fit qu'un bond jusqu'à la statue de Marie et versa une bonne moitié de l'eau de la cruche sur la tête de sa fille.

Ah ! Quel plaisir de voir le rose revenir sur les chères petites joues ! Mais quand elle éternua tout à coup en sautant de côté pour échapper à la cascade qui tombait sur elle, l'heureux père se mit à rire et à pleurer de joie tout ensemble

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